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Pollution industrielle de l’air à Strasbourg

Une qualité de l’air non conforme

En raison de son climat et sa géographie, Strasbourg figure parmi les villes les plus polluées de France, et, comme dans 10 autres villes françaises, la qualité de l’air n’y est pas conforme aux normes européennes.

L’Union européenne a condamné la France et lui a imposé de prendre des mesures parmi lesquelles la mise en place de zone à faibles émissions (ZFE) visant à limiter la circulation des véhicules polluants.

Cette mesure difficile est indispensable, et devra s’accompagner d’aides au cas par cas, mais nous demandons que, dans le même temps, un effort soit demandé aux autres pollueurs en commençant par le secteur industriel.

 

Opacité sur les émissions réelles en « sortie de cheminée » des industries

En effet, si la pollution industrielle a diminué ces dernières années à Strasbourg, elle reste très présente et sous-estimée, car la réglementation permet aux industries les plus polluantes (appelées installations classées) de bénéficier du régime de l’autosurveillance, autrement dit, les industries les plus polluantes s’autocontrôlent et déclarent elles-mêmes leurs émissions de polluants.

Ce « passe-droit » accordé aux industriels ne permet donc pas de connaître avec certitude leurs émissions réelles. En effet, les agences agrées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) telles qu’ATMO Grand-Est, n’ont pas le droit de mesurer autour des sites industriels et ne peuvent se baser que sur les informations fournies par les exploitants eux-mêmes.

Ce régime de l’autosurveillance est dénoncé une nouvelle fois dans le récent rapport de la Cour des comptes qui enfonce encore le clou et dénonce également de nombreux procédés – tels que le fonctionnement en « mode dégradé » – qui permet aux industriels de ne pas déclarer ni mesurer leurs émissions dans certaines conditions. Ou bien encire comme l’arrêt et le redémarrage, ou lors de dysfonctionnement-, générant ainsi une pollution qui n’est pas du tout prise en compte.

Certes, ces industries sont contrôlées notamment par la préfecture, mais les contrôles sont rares, et difficiles à mettre en place, obligeant les services de contrôle à prévenir les industriels en avance de la survenue d’un contrôle. L’insuffisance de contrôle des industries est également soulignée dans le rapport de la Cour des comptes, qui demande d’accentuer les contrôles et de renforcer le montant des sanctions.

Une grande partie des polluants émis notamment par le secteur industriel n’est pas mesurée dans l’air ambiant à Strasbourg

Autre problème majeur : dans l’air ambiant, la réglementation n’impose le suivi que de quelques polluants comme les particules fines, mais une grande partie des émissions industrielles n’est pas du tout mesurée ni suivie. Pour preuve, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) alertait en 2016 sur la dangerosité de nombreux polluants qui ne sont toujours pas mesurés dans l’air ambiant.

Parmi ces polluants toxiques non réglementés, plusieurs dizaines sont susceptibles d’être présents dans l’air strasbourgeois en raison du type d’industries en présence, citons par exemple un composé organique volatil – le Butadiène – cancérogène avéré, et le sulfure d’hydrogène.

Après les alertes de l’ANSES, c’est au tour de la Cour des comptes d’appeler à suivre et à mesurer les nombreux polluants toxiques non réglementés émis par le secteur industriel et de citer en exemple le bassin de Lacq en Nouvelle-Aquitaine, où depuis 2019 un arrêté préfectoral permet le suivi des polluants industriels non réglementés tels que de nombreux composés organiques volatils.

Or à Strasbourg, le seul composé organique volatil suivi dans l’air est le Benzène, mais qui n’est mesuré qu’une semaine par mois. Tout ce qui nous est pour l’instant proposé est la mise en place de « Nez » et d’ « applications en ligne » pour signaler les odeurs industrielles, mais cela est insuffisant et insignifiant.

Ce qui importe le plus est de caractériser et mesurer ces « odeurs » industrielles, qui dans de nombreux cas sont liées à des composés organiques volatils toxiques cancérogènes, comme le rappelle la Cour des comptes, pour qui « ces odeurs correspondent souvent à des composés organiques volatils cancérigènes et des gaz toxiques, tels que l’acide sulfurique présents dans les rejets atmosphériques, et non appréhendés par les industriels ».

 

Déjà un appel en 2015

En 2015 plus de 120 médecins strasbourgeois signaient une tribune demandant aux élus de prendre des mesures fortes contre la pollution de l’air. La limitation des véhicules polluants au sein d’une ZFE étendue à toute l’Eurométropole répond en partie à cette demande. Par exemple le contrôle des poids lourds avenue du Rhin. Mais nous demandons à Madame la Préfète du Bas-Rhin et à l’Eurométropole, que les moyens nécessaires soient mis en œuvre pour :

  • renforcer les contrôles des émissions industrielles
  • mettre en place de mesures des émissions industrielles par des organismes indépendants et que ces mesures soient publiques et consultables par tous
  • Mettre en place des capteurs dans les quartiers proches des zones industrielles, afin de permettre un suivi continu des concentrations dans l’air ambiant des polluants toxiques, incluant à la fois les polluants réglementés (particules fines, NO2, Benzène), mais surtout les polluants toxiques non réglementés.
    Au premier rang desquels figurent de nombreux composés organiques volatils cancérigènes ou des gaz toxiques tels que le Butadiène ou le sulfure d’hydrogène. Ce suivi des polluants pourrait être effectué par des organismes de contrôle indépendants.

 


  • Collectif StrasbourgRespire
  • Alsace Nature
  • Association des résidents rue du Tivoli et environ
  • Amicale des Habitants de l’Elsau
  • Association des habitants du quartier gare
  • Association Col’schick
  • Association des Habitants Bourse – Austerlitz – Krutenau
  • Association de Défense des Intérêts de la Robertsau (ADIR)
  • Association Zona-Ceinture verte de Strasbourg
  • Association des Résidents et Amis de Neudorf (ARAN)
  • Association Ecoquartier Danube Energies Nouvelles Strasbourg (EDEN)
  • Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV Sud)
  • Réseau Environnement Santé
  • Association Santé Environnement France (ASEF)

Incendie de Rouen et émissions quotidiennes des industries

« L’autre risque de pollution potentiellement bien plus dangereux concerne les émissions quotidiennes de ces industries »

Un collectif de médecins et de scientifiques spécialistes des impacts sanitaires de la pollution de l’air dénoncent, dans une tribune au « Monde », l’insuffisance des contrôles sur les sites industriels à risque.

Tribune. Derrière les fumées noires de Lubrizol, derrière les termes « installations classées » et « sites classés Seveso », se dévoile au grand public l’opacité des industries à risque.

Lubrizol – CC – Daniel Briot (Flickr)

Le terme d’installations et de sites classés regroupe les principales usines potentiellement dangereuses allant des établissements industriels classés Seveso – du nom du village italien où une usine chimique a rejeté accidentellement un nuage de dioxine en 1976 avec des répercussions sanitaires sur des générations d’Italiens – aux incinérateurs, en passant par de nombreuses usines chimiques en tout genre.

L’accident de Lubrizol, qui est loin d’être un cas isolé, est pour nous médecins, scientifiques et ONG, l’occasion d’alerter sur l’insuffisance des contrôles qui sont imposés à ces industries. Ces accidents ne sont que la partie visible du risque sanitaire et environnemental.

L’autre risque potentiellement bien plus dangereux, bien plus opaque, concerne les émissions quotidiennes de ces industries. Les particules ultrafines recouvertes d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et de métaux lourds, perturbateurs endocriniens, qui, années après années, augmenteront le risque de cancers, de maladies cardiovasculaires et respiratoires chez les riverains, avec un risque encore plus important lorsque ces industries sont en zone urbaine.

Des dérogations

A haut risque de pollution, ces installations classées bénéficient pourtant d’un système de contrôle pour le moins complaisant et extrêmement tolérant au vu des risques sanitaires encourus.

En effet, ces industries bénéficient de dérogations méconnues du grand public. Un régime
d’auto déclaration qui autorise les industriels à déclarer eux-mêmes leurs émissions de polluants, sans qu’aucune agence indépendante, aucune agence agréée de surveillance de la qualité de l’air n’ait le droit, en routine, d’effectuer des mesures de polluants autour ou dans l’enceinte de ces industries. Il en résulte une opacité quant aux émissions réelles de ces industries.

« L’autosurveillance repose sur la confiance accordée à l’exploitant » : cette phrase figure en toutes lettres sur le site du ministère de la transition écologique et solidaire. De nombreux scandales, dont celui du dieselgate, nous ont amèrement rappelé que cela ne fonctionnera jamais.

Certes, les contrôles existent mais, par manque de moyens, les contrôles préfectoraux sont rares, allant d’une fois par an à tous les cinq ans. Seulement un tiers des 44 000 établissements les plus dangereux sont contrôlés tous les ans, et le nombre des visites d’inspection a diminué de 36 % en dix ans. De plus, les établissements sont prévenus à l’avance de la survenue d’un contrôle.

La fin du régime de l’auto-déclaration

En outre, les normes de pollution industrielle ne sont pas des normes sanitaires, seul le volume global de certains polluants est pris en compte, sans prendre en considération les concentrations en polluants dans l’air, et seuls quelques dizaines de polluants sont suivis sur les centaines de substances émises.

Ainsi, les particules ultrafines, qui sont les plus dangereuses en raison de leur taille et de leur surface recouverte d’hydrocarbures aromatiques, les dioxines bromées, ainsi que de nombreuses substances cancérigènes et/ou perturbateurs endocriniens, ne font l’objet d’aucune réglementation, ni surveillance, lors de leur rejet dans l’atmosphère par ces industries.

Un autre passe-droit concerne de nombreuses installations classées, notamment les incinérateurs, qui sont autorisées, à chaque arrêt et redémarrage, à rejeter dans l’air des polluants sans contrôle ni limite d’émissions.


Ces mêmes industries bénéficient également de soixante heures de dépassement annuel durant lesquelles elles peuvent rejeter des quantités de polluants sans aucune limite, et sans qu’aucune mesure des émissions ne soit effectuée et comptabilisée. Cette dérogation engendre d’importants rejets de polluants en toute légalité !

Un besoin de contrôle renforcé

Au nom de la sécurité sanitaire, nous demandons une refonte et un durcissement du système de contrôle des sites et installations classées. Notamment :

  • la fin du régime de l’auto-déclaration
  • la mise en place de contrôles des émissions par des organismes indépendants
  • des mesures déconcentration en polluants à proximité immédiate
  • la prise en compte et la surveillance de l’ensemble des polluants toxiques ,notamment les particules ultrafines.

Nous demandons des contrôles fréquents et réguliers de ces industries. Ce qui implique d’allouer davantage de moyens matériels et financiers aux organismes préfectoraux qui en ont la charge. Enfin, toute demande d’extension d’activité engendrant davantage de pollution devrait être systématiquement interdite pour les industries situées en zones urbaines.


Les signataires :

  • Docteur Mallory Andriantavy-Guyon, collectif Environnement santé 74, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Professeur Isabella Annesi-Maesano, DR1 Inserm, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Matthias Beekmann, directeur de recherche CNRS ;
  • Professeur Jean-Paul Bourdineaud, CNRS, Institut européen de chimie et biologie ;
  • Docteur Thomas Bourdrel, collectif Strasbourgrespire, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Docteur Isabelle Chivilo, Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique (Criigen) ;
  • André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES) ;
  • Docteur Gilles Dixsaut, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Stéphane Giraud, directeur d’Alsace nature ;
  • Guillaume Muller, Association Val-de-Marne en transition, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Docteur Pierre Michel Perinaud, collectif Alerte médecins pesticides (AMLP) ;
  • Docteur Jean-Baptiste Renard, directeur de recherche CNRS, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Docteur Michel Simonot, réseau Environnement santé ;
  • Docteur Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (ASEF), Collectif Air-Santé-Climat ;
  • Docteur Joël Spiroux de Vendômois, médecine environnementale, président du Criigen ;
  • Docteur Florence Trebuchon, ASEF, collectif Air-Santé-Climat ;
  • Christian Vélot, généticien moléculaire, université Paris-Sud.