Un décès sur cinq dans le monde serait lié à la pollution de l’air
En France, près de 100 000 décès seraient attribués chaque année aux particules fines issues de la combustion des énergies fossiles, selon une étude de Harvard. Le double de l’estimation officielle des autorités sanitaires.
Le nombre de décès imputables à la pollution de l’air est très largement sous-estimé. Tel est l’enseignement majeur d’une étude inédite parue mardi 9 février dans la revue scientifique Environmental Research. Des chercheurs en santé environnementale de l’université Harvard (Etats-Unis), en collaboration avec leurs collègues britanniques des universités de Birmingham, Leicester et Londres, ont cherché à mesurer la mortalité due aux particules fines (PM2,5, de diamètre inférieur à 2,5 micromètres) issues de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et diesel principalement). Leurs résultats sont alarmants.
En France, selon leurs calculs, près de 100 000 décès prématurés (97 242) seraient attribués chaque année à la pollution de l’air extérieur liée aux énergies fossiles. Soit 17,3 % de l’ensemble des décès. Un bilan en hausse de près de 45 % par rapport à la dernière estimation : une étude publiée en mars 2019 dans l’European Heart Journal, la revue médicale de la Société européenne de cardiologie, évaluait à 67 000 le nombre de décès liés à la pollution de l’air, toutes sources confondues. 97 242 morts, c’est plus du double du chiffre officiel de 48 000 décès retenu depuis 2016 par Santé publique France et repris dans toutes les communications institutionnelles pour alerter des dangers de l’exposition à un air dégradé.
Le même différentiel se retrouve à l’échelle de la planète. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se réfère toujours à 4,2 millions de décès imputables à la pollution de l’air extérieur, sur la base de l’année 2016. Les chercheurs de Harvard arrivent eux à un total de 8,7 millions de morts prématurées sur la base de l’année 2018. Soit un décès sur cinq dans le monde. La Chine, où la situation s’améliore cependant depuis une dizaine d’années, paie toujours le plus lourd tribut avec 2,4 millions de victimes.
Résolution spatiale
Comment expliquez que la mortalité attribuée à la pollution de l’air ait pu à ce point être sous-estimée jusqu’ici? Tout d’abord, à la différence des évaluations précédentes, qui s’intéressaient à toutes les PM2,5, sans chercher à les distinguer en fonction de leur source d’émission, les auteurs se sont concentrés sur les particules d’origine fossile. Or, comme le rappelle le professeur Thomas Bourdrel, du collectif Air-SantéClimat et auteur de plusieurs publications de référence sur la pollution de l’air,« toutes les particules ne se valent pas ».
Parce qu’elles comportent un noyau central de carbone pur et qu’elles sont entourées à leurs surfaces d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) cancérogènes, les particules de combustion primaire sont « beaucoup plus toxiques» que celles formées à partir des épandages agricoles ou des poussières du désert qui avaient donné une teinte orangée au ciel dans l’est de la France samedi 6 février.
Afin d’identifier et de mesurer la concentration dans l’air des particules issues de la combustion fossile, les chercheurs ne se sont pas contentés, à la différence des études précédentes, d’analyser les images satellites. Ils ont utilisé un modèle mathématique de résolution spatiale en 3D baptisé GEOS-Chem et développé par l’université Harvard qui permet de reconstituer les transferts de pollution dans l’atmosphère en Les évaluations précédentes s’étalent Intéressées à toutes les particules fines, sans distinction temps réel. «Le modèle divise le monde en de multiples « boîtes » de 50 km sur 60 km. Il nous a permis de déterminer les niveaux de concentrations en particules issues de la combustion fossile dans chaque boîte», explique Kam Vohra (université de Birmingham), un des auteurs principaux. Désormais, nous sommes en mesure de savoir plus précisément ce que les gens respirent.» Les cartes réalisées par les chercheurs montrent ainsi qu’en France les «boîtes» virent au rouge particulièrement en Ile-de-France.
Autre piste d’explication, l’article publié dans Environmental Research se fonde sur un nombre sans précédent d’études récentes, notamment épidémiologiques, et une méta-analyse, qui n’avaient pu être incorporées dans les estimations précédentes. Grâce à ce corpus, les auteurs ont pu élaborer un nouveau modèle d’évaluation des risques.
Toxicité du chauffage à bois
Ils ont ainsi mis à jour et revu à la hausse le « risque relatif» à l’exposition aux particules fines liées aux énergies fossiles. Ils ont constaté que les effets de la pollution sur la santé étaient largement sous-estimés à la fois lors d’exposition chronique à de très fortes concentrations (notamment en Asie) mais aussi à plus faible dose comme en Europe ou en Amérique du Nord. Preuve supplémentaire que les effets délétères des particules fines, les plus dangereuses car elles pénètrent profondément dans l’organisme, se font ressentir même en deçà de la limite préconisée par l’OMS (10 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle) qui servait jusqu’ici de référence pour évaluer la mortalité de la pollution de l’air.
« Souvent, lorsque nous discutons des dangers de la combustion des énergies fossiles, c’est dans le contexte du CO2, et du changement climatique et nous négligeons l’impact potentiel sur la santé des polluants émis avec les gaz à effet de serre, commente Joel Schwartz, professeur d’épidémiologie environnementale à Harvard et coauteur de l’article. Nous espérons qu’en quantifiant les conséquences sanitaires de la combustion fossile nous envoyons un message clair aux décideurs politiques et au grand public quant aux bénéfices d’une transition vers des sources d’énergie alternatives. »
L’étude du professeur Schwartz et de ses collègues fait en revanche l’impasse sur d’autres particules, pourtant similaires en termes de toxicité et de composition: celles issues du chauffage au bois. Une étude européenne coordonnée par l’Institut Paul-Scherrer (Suisse) et publiée en novembre 2020 dans la revue Nature montrait qu’elles comptaient parmi les plus dangereuses, en raison de leur potentiel oxydant, avec les particules métalliques générées par l’usure des freins et des pneus et des véhicules. De quoi revoir de nouveau à la hausse le bilan de la pollution de l’air dans une prochaine publication.
STÉPHANE MANDARD
Article publié le 09 février 2021 dans Le Monde