Particules ultrafines et HAP, la pollution cachée des véhicules diesel

Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont cancérogènes et se trouvent à la surface des particules ultrafines émises en grand nombre par les véhicules diesel.

Les NOx n’ont désormais quasiment plus de secrets pour le grand public. Depuis que l’on sait que Volkswagen en a fait inhaler à haute dose à des singes pour tenter de prouver – en vain – leur innocuité, plus personne n’ignore que ce sigle désigne les oxydes d’azote, dont le fameux NO2 (dioxyde d’azote) a également été testé sur des cobayes humains par un groupe de recherche financé par les constructeurs allemands.

Déjà, le « dieselgate » avait révélé que plusieurs groupes automobiles s’évertuaient à truquer leurs moteurs pour minorer les rejets de NOx lors des tests antipollution d’homologation des véhicules. Et des grandes revues scientifiques comme Nature ont compté que les excès d’émission de ce gaz toxique étaient responsables d’environ 38 000 morts prématurées chaque année dans le monde.

Ce que l’on sait beaucoup moins, en revanche, c’est que les moteurs diesel recrachent des substances encore plus nocives que les NOx : les HAP. Derrière ce trigramme inconnu au-delà du cercle des initiés se cachent les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Son représentant le plus toxique répond au nom barbare de benzo[a]pyrène. Le B[a]P, que l’on retrouve aussi dans la fumée de cigarette ou du chauffage au bois, est classé cancérogène pour l’homme par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il est considéré comme traceur du risque cancérogène pour la famille des HAP.

 

Les particules ultrafines, « le vrai scandale sanitaire » 

« On s’offusque, à juste titre, que des constructeurs automobiles fassent respirer des Nox à des singes, mais le benzo[a]pyrène, on interdit de le manipuler en laboratoire en raison de son extrême dangerosité et, en même temps, on continue à inciter les gens à l’acheter et à le respirer avec une fiscalité avantageuse pour le diesel », souligne Thomas Bourdrel, auteur d’un article sur les conséquences sanitaires des polluants issus du trafic routier, dans le numéro de février de la revue Réalités cardiologiques. Le médecin radiologue de Strasbourg est l’un des meilleurs spécialistes des HAP. Dans une étude inédite – publiée en toute discrétion, en juillet 2017, dans Archives of Cardiovascular Diseases, la revue de la Société française de cardiologie –, il pointe la responsabilité des HAP des particules diesel dans le développement des pathologies cardiovasculaires.

« Les particules émises par les moteurs essence contiennent bien moins d’hydrocarbures à leur surface, et il s’agit, de plus, d’hydrocarbures plus légers, donc moins nocifs », précise Thomas Bourdrel. Les HAP sont des composés semi-volatils, c’est-à-dire qu’ils sont capables de passer de l’état gazeux à l’état particulaire. C’est dans cette dernière phase qu’ils sont les plus toxiques. Les particules sont classées selon leur taille : on distingue les grossières (les fameuses PM10, de diamètre compris entre 2,5 µm et 10 µm), les fines (PM2,5, comprises entre 0,1 µm et 2,5 µm) et les ultrafines ou nanoparticules (PM0,1, inférieures à 0,1 µm).

Les particules ultrafines sont les plus dangereuses en raison de leur taille et de leur composition, car c’est précisément à leur surface que l’on retrouve le plus de HAP et de B[a]P. Or, note Thomas Bourdrel, plus de 90 % des particules émises par les derniers diesels sont ultrafines. Ce qui fait dire au médecin que « le vrai scandale sanitaire, ce ne sont pas les NOx, mais les particules ultrafines ».

 

L’effet « paradoxal » des filtres installés par les constructeurs

A l’instar de la cigarette, relève le médecin, il n’y a pas de seuil au-dessous duquel elles n’ont pas d’effet sur la santé. Surtout, à la différence des PM10, qui restent bloquées au niveau des voies respiratoires supérieures (nez et pharynx), ou des PM2,5 (alvéoles pulmonaires), les nanoparticules pénètrent dans le sang et peuvent atteindre le cerveau ou traverser le placenta des femmes enceintes. En Alsace, le Réseau santé environnement, dont Thomas Bourdrel est membre, a repéré que l’incidence de l’affection longue durée pour les accidents vasculaires cérébraux (AVC) invalidants avait été multipliée par quatre en moins de vingt ans. Des études épidémiologiques européennes ont montré que chaque augmentation annuelle de 5 μg/m3 en PM2,5 s’accompagne d’une hausse de 19 % du risque d’AVC et de 13 % du risque d’infarctus.

Thomas Bourdrel relève un « effet paradoxal » des filtres installés par les constructeurs automobiles : ils tendent à augmenter la formation de nanoparticules par nucléation. Autrement dit, les filtres fragmentent les particules en sortie de pot d’échappement. Un phénomène amplifié à basse température. « Les pics de pollution sont plus dangereux en hiver – où il y a jusqu’à deux fois plus d’émissions de HAP – et en ville, où les moteurs diesel n’ont pas le temps de chauffer », alerte le fondateur du collectif Strasbourg respire.

« Seuls les vieux diesels sans filtre émettent encore des PM10, fait-il remarquer. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison qu’on observe moins de dépassements aux PM10. » Aussi, pour le chercheur, la Commission européenne se trompe de cible en continuant à faire la chasse aux PM10. C’est à cause d’eux, d’ailleurs, que la France est menacée de poursuites devant la Cour de justice de l’Union européenne en raison de dépassements répétés des valeurs limites ainsi que de celles du NO2.

 

Des normes et instruments de mesure « inadaptés » 

Contrairement aux PM10 et au NO2, il n’existe pas de valeur limite pour les nanoparticules et donc pas de surveillance réglementée. Concernant les HAP, il y a seulement une valeur dite cible, c’est-à-dire « à atteindre dans la mesure du possible », pour le B [a] P.

Selon le dernier bilan national de la qualité de l’air en France, en 2016, deux sites dépassaient la norme en B[a]P pour la protection de la santé humaine à long terme, fixée à 1 ng/m3 en moyenne annuelle : la vallée de l’Arve (1,6 ng/m3) en Haute-Savoie, et la Moselle (2,4 ng/m3).

Pour Thomas Bourdrel, ces dépassements sont largement sous-estimés du fait de normes et d’instruments de mesure « complètement inadaptés » aux particules ultrafines. Les normes de l’OMS et de l’UE reposent en effet sur la masse particulaire. Or les nanoparticules « ont un poids négligeable et ne représentent qu’une part très faible de la masse particulaire totale, alors que leur participation au nombre total de particules est très importante ».

C’est également l’avis de Gilles Dixsaut, de la Fondation du souffle : « On utilise des outils de mesure qui pèsent des nanogrammes de crottin de cheval alors qu’il y a longtemps qu’on a abandonné les fiacres. » Pour le médecin, la masse n’est pas un paramètre pertinent en termes d’impact sanitaire : « Ce qu’il faut mesurer, c’est le nombre et la surface. » Et selon Gilles Dixsaut, les derniers modèles diesel émettent le nombre impressionnant de « 600 milliards de particules ultrafines au kilomètre ».

Selon les données du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, les émissions de HAP ont diminué de 50 % en France entre 1990 et 2010. Une baisse observée dans tous les secteurs, sauf dans le transport routier en raison de la croissance du trafic et de la pénétration des véhicules diesel.

 

LE MONDE | 14.02.2018 | Par Stéphane Mandard avec le collectif « Strasbourg Respire »