Pourquoi le diesel reste plus toxique que l’essence

Pourquoi le diesel reste plus toxique que l’essence ?
Le diesel est-il vraiment moins émetteur de gaz à effet de serre ?
Toute la lumière sur le diesel avec le Dr Thomas Bourdrel de « Strasbourg Respire ».

–  –  –

Cette vidéo ci-dessus (14min) est extraite de l’émission État de Santé sur LCP (La Chaine Parlementaire), consacrée à la pollution de l’air et au diesel et diffusée fin-novembre et en décembre 2017 : émission complète (26min) sur leur site.

Cette vidéo (ci-dessus) comporte des sous-titres en français, et une retranscription ci-dessous. Vous pouvez nous aider à faire connaître ces informations en nous aidant à traduire le texte. Contact : dominique@strasbourgrespire.fr

(Version en anglais – english version)


Retranscription de l’interview

J : Journaliste
M : Médecin, Thomas Bourdrel

J : Bonjour, bienvenue dans ce nouveau numéro d’État de santé, nous sommes ici dans la maison du poumon, la fondation du souffle, un cadre idéal pour parler du diesel, avec cette question qu’on pose aujourd’hui : »Est-ce qu’on va vers un scandale sanitaire ? »
Est-ce que ceux qui diabolisent ce carburant aujourd’hui, ont des raisons, des bonnes raisons de le faire ?
Et bien on le saura avec précision à la fin de cette émission, grâce à vous. Bonjour Thomas Bourdrel

M : Bonjour

J : Vous êtes radiologue, on regarde votre portrait. À tout de suite.

Voix off : Thomas Bourdrel est médecin radiologue à Strasbourg.
En 2014 il crée le collectif Strasbourg Respire (strasbourgrespire.fr)
Son combat, s’attaquer aux idées reçues sur la pollution de l’air et faire comprendre que ses conséquences sur la santé ne se limitent pas à l’asthme ou aux allergies. Car selon l’OMS, trois quarts des décès liés à la pollution sont liés à des maladies cardiovasculaires.

J : Merci encore d’être avec nous Thomas Bourdrel. Vous êtes donc radiologue, à Strasbourg, depuis une dizaine d’années.
Pourquoi vous êtes particulièrement intéressé aux méfaits du diesel ?

M : Déjà, aux méfaits de la pollution de l’air en général, en découvrant beaucoup plus de cancers du poumon en ville chez des non-fumeurs, que ce que j’avais l’habitude de voir. Et cela a été confirmé par une étude qui a été faite à Strasbourg qui a montré que la pollution de l’air était responsable d’environ 10% des cancers du poumon.

J : De quoi parle-t-on quand on parle de la pollution de l’air ? Y’a pas que le diesel, dont on va parler, en particulier aujourd’hui. Il y a des tas d’éléments.

M : ll faut distinguer les particules fines, notamment les particules diesel et les gaz. Ce qui actuellement pose le plus de problèmes en termes de santé publique ce sont les particules fines, et dans les gaz, ce sont les oxydes d’azote.

J : Dans la pollution de l’air qu’on respire en ville, il y a les industries, il y a le chauffage aussi, il y a effectivement la part du carburant qui est sans doute la plus importante, vous nous le confirmez ? Dans la pollution de l’air dans les villes.

M: Tout à fait, oui. Il y a des variations en fait en termes de sources.
En ville, le trafic va représenter jusqu’à 50% des particules fines et le trafic jusqu’à 60% des oxydes d’azote.
Si vous allez dans la vallée de l’Arve, le chauffage au bois en hiver va devenir une des sources majoritaires.
Donc ça va dépendre de la saison et du distinguo ville ou campagne. Ce qui est certain, c’est que le diesel reste une source constante d’émission de particules fines et d’oxydes d’azote, et surtout en ville.

J : Alors de quoi parle-t-on, si vous permettez, quand on parle du diesel ? Petite fiche technique tout de suite, regardez.

Voix off : Quand on met du diesel dans une voiture, le gazole est ensuite mélangé à de l’air. Ce mélange comprimé et chauffé repousse le piston, le moteur tourne, et des gaz d’échappement sortent de la voiture.
Ces gaz d’échappement contiennent du dioxyde de carbone et des oxydes d’azote (les NOx).
Ce sont des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique.
Des gaz dont les émissions ont été truquées par des fabricants de voitures.
Mais ce n’est pas tout : en plus des gaz, des particules ultrafines sortent également du pot d’échappement, ces particules transportent à leur surface des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des H.A.P.
Leurs effets toxiques sur la santé humaine sont prouvés. La plupart des HAP sont des cancérogènes avérés responsables de pathologies pulmonaires et cardiovasculaires.

J : Thomas Bourdrel vous nous avez dit : « Le plus dangereux ce sont les particules fines émises par le diesel et c’est cela peut-être notre principal ennemi, en ville ». Dites-moi tout de suite ce qu’il faut penser alors des particules fines qui ont été relevées très récemment sous nos pieds dans les villes, par exemple dans le métro. On a dit que là on respirait encore plus de particules fines qu’à l’air libre ! Alors ? Et là il n’y a pas de voiture en souterrain…

M : Alors, il faut savoir que la pollution aux particules a changé.
Avant, et ce que l’on mesure encore, on mesurait les plus grosses des particules, ce qu’on appelle les PM 10. Ce sont les particules plus grosses.
Ensuite il y a est les PM 2.5 qui sont les particules fines et il y a celle encore en dessous qui sont les ultrafines.

J : Les ultrafines, ce sont les plus dangereuses ?

M : Ce sont les plus dangereuses, car elles vont pénétrer en profondeur dans l’organisme.
Elles ne s’arrêtent plus aux poumons, elles passent dans votre système sanguin et de là, vont pouvoir gagner tous les organes de votre corps et surtout le système cardiovasculaire, et on sait maintenant que ces particules ultrafines génèrent des maladies cardiaques, des infarctus, des accidents vasculaires cérébraux ce qui n’était pas le cas de la pollution il y a plusieurs dizaines d’années et il faut savoir que ces particules ultrafines, ce n’est pas quelque chose de rare, 90% des particules qui sortent d’un véhicule actuellement

J : Combien ? 90% ?

M : 90% sont des particules ultrafines.

J : Et elles peuvent aussi, sauf erreur, générer ou en tout cas contribuer à l’émergence de maladies comme alzheimer et parkinson ?

M : Tout à fait. Elles vont passer sur tous les organes, y compris dans le cerveau. Soit par le système sanguin, mais également directement par ce qu’on appelle la lame criblée, c’est-à-dire quand vous respirez il y a une communication via cette lame criblée qui les fait communiquer directement dans votre cerveau et c’est à l’origine de maladies, ce qu’on appelle neurodégénératives, c’est bien prouvé.
Le plus inquiétant c’est que ces particules ultrafines, et ça a été démontré par l’INSERM, elles traversent le placenta, et elles passent dans la circulation du foetus. Ces particules entravent la circulation artérielle du foetus, donc les enfants sont moins alimentés, donc grandissent moins, grossissent moins.

J : Vous diriez que c’est le polluant le plus toxique auquel est exposé notre organisme en ville aujourd’hui ?

M : Actuellement les particules ultrafines, oui, c’est ce qu’il y a de plus toxique.

J : Presque aucun organe, semble-t-il, n’échappe…

M : Non, on en retrouve dans le foie aussi, on en retrouve dans tous les organes, et c’est vraiment un enjeu de santé publique et il y a une grosse modification de conscience, puisqu’avant .. c’est pour ça que les pneumologues étaient les principaux responsables d’alertes de la pollution parce que les particules plus grosses donnaient surtout des maladies respiratoires.
Mais maintenant comme tous les organes sont atteints il y a vraiment tous les spécialistes de santé qui doivent être alertés et en particulier les cardiologues.

J : Alors Thomas Bourdrel, mais est-ce que vous avez des certitudes scientifiques des méfaits du diesel ? Qu’est-ce que vous avez vous, comme preuves à nous apporter ?

M : Nous médecins, quand on regarde la littérature, il y a énormément d’articles scientifiques publiés. Il y en a plus d’une centaine depuis maintenant au moins trente ans et qui démontrent tous des effets sur la santé de la pollution de l’air notamment du diesel. Il y a énormément de travaux nord-américains et qui ont été publiés dans les plus grosses revues internationales qui ont montré comment les particules diesel attaquaient le coeur de façon très significative.
Juste là un schéma par exemple où on voit des rats, des artères de rats, trois rats qui sont exposés…

J : Alors il y a trois rats différents là.

M : La première colonne ici à gauche, ce sont des rats qui sont exposés pendant six mois à de l’air filtré sans particules et la colonne ici, ce sont les mêmes rats, mais qui sont exposés pendant six mois à de l’air chargé en particules diesel.
Là, si on les laisse encore six mois de plus, l’artère est bouchée.
Si c’est l’artère qui va au coeur, ça vous donne un infarctus, si c’est l’artère qui va au cerveau, ça vous donne un accident vasculaire cérébral.

J : Alors on nous dit qu’il y a diesel et diesel, Thomas Bourdrel, qu’il y a les vieux diesels et les diesels, entre guillemets « propres ». Ça peut peut-être vous faire sursauter, mais c’est comme ça qu’on nous le vend. Est-ce qu’il y a une différence entre les vieux diesels et ceux effectivement qui sont par exemple, ont des capacités de filtrage plus importantes ?

M : Alors bien sûr que les vieux diesels sont les plus nocifs, ça il n’y a pas de doute là-dessus, et le problème c’est qu’une grande partie du parc automobile actuellement est composé de ces vieux diesels.

J : Une énorme majorité !

M : Voilà, mais de là à dire que le diesel propre existe, ça, c’est complètement faux.

J : Pour vous c’est une confusion, c’est même de la désinformation ?

M : C’est un mensonge je dirais même.

J : C’est un mensonge ?

M : Oui ! On vous dit que les filtres vont filtrer 99% des particules, déjà, c’est réalisé dans des conditions en laboratoire. Si vous voulez mesurer sur un diesel qui va accélérer, sur un moteur en ville par exemple même les constructeurs vous disent qu’un diesel n’est pas conçu pour rouler en ville.

J : Alors ce qu’on dit, c’est que le diesel qui roule, qui fait énormément de kilomètres dans l’année, il pollue beaucoup moins que le diesel en ville qui lui finalement restera toxique

M : Voilà, c’est pour ça que moi je suis là vraiment pour dire, il y a un problème spécifique du diesel, mais en ville.
Si on gardait le diesel pour les longs trajets, quelque part ça poserait peu de problèmes. Donc c’est faux de dire que même les diesels récents ne polluent pas, pourquoi ?
Parce que ce qui sort, ce sont des particules ultrafines, même s’il en sort moins, il en sort quand même et on a vu que ces particules ultrafines, elles touchent tous les organes, c’est les plus nocives.
Pourquoi elles sont nocives ? Parce qu’à leur surface elles vont contenir ce qu’on appelle des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et surtout, ce que les constructeurs ne vous disent pas c’est que ces hydrocarbures, ils sortent sous forme de gaz pour lesquels les filtres n’ont aucun effet. Et à la sortie du pot d’échappement, quelques mètres après, ils vont pouvoir se recondenser en particules, surtout si la température est froide, donc l’hiver.
Donc on va voir une nouvelle formation de particules qui n’est pas prise en compte par les constructeurs, parce qu’elle se forme après la sortie du pot.
Ça, c’est le premier problème, c’est les particules, le deuxième problème ce sont les gaz et les oxydes d’azote.

– Reportage intermédiaire –

J : Voilà donc pour le dossier dieselgate. On a parlé beaucoup technique depuis tout à l’heure, Thomas Bourdrel, vous en tant que radiologue qui percevez, qui mesurez tous les dégâts qui sont faits par la pollution et les carburants ça vous met dans quel état d’esprit ?
Vous êtes en colère ? Vous êtes écoeuré ? Quel était votre état d’esprit ?

M : Au départ j’étais en colère. Surtout de voir les patients venir et revenir, découvrir des cancers du poumon chez des non-fumeurs, découvrir le déni un petit peu des politiques et le décalage qu’il y avait entre les nombreuses études scientifiques qui démontraient l’urgence de santé publique et vraiment l’absence de prise de conscience des pouvoirs publics.

J : Déni des politiques. Alors il faut qu’on s’y arrête, parce qu’il y a quand même quelque chose d’incompréhensible, docteur, c’est que, les pouvoirs publics, depuis des années, par un système de bonus-malus encouragent, mais de façon inouïe, les automobilistes à acheter des diesels. Il y a des milliers d’euros de différence à l’achat entre une voiture essence et une voiture diesel.
On pousse finalement les automobilistes, on les pousse dans les bras du diesel.. Ça doit vous rendre fou ? C’est complètement incohérent.

M : Et pas que moi, et ce qui est fou c’est de voir que dans les années 80 il y avait seulement 8% du parc qui était diesel. Que le CNRS a fait un rapport dans les années 90 en disant déjà qu’il ne fallait pas encourager le diesel. Qu’il y avait déjà trop de preuves qu’il était cancérigène que ce rapport n’a jamais été utilisé et qu’en 1995 on a mis toutes les fiscalités pro diesel et que maintenant on se retrouve avec un parc à quasi 70% diesel !

J : Alors, il y a une explication, c’est le CO2, c’est parce qu’on ne considérait que les méfaits du CO2 et pas des fameuses particules fines, alors il faut le dire ça.

M : Il faut dire que CO2 n’est pas un gaz toxique pour l’homme, mais c’est un gaz à effet de serre.

J : C’est à gaz à effet de serre, et on a utilisé que celui-là pour le bonus-malus.

M : Et surtout, l’ONG « Transport & environment« , qui fait office de référence actuellement vient de démontrer que même ça, c’était un argument qui n’était plus valable. Qu’un moteur à essence, sur plusieurs années, émettra autant de CO2 qu’un moteur diesel.
En plus de ça, un moteur diesel émet six fois plus de NOx qu’un moteur essence et les NOx, donc les oxydes d’azote, sont des précurseurs d’ozone, qui est aussi un gaz à effet de serre.
Donc il est même fort probable qu’en termes de réchauffement climatique, l’argument du diesel n’est également pas recevable.

J : Mais encore aujourd’hui, sauf erreur, les pouvoirs publics privilégient le diesel ?

M : Oui je pense que maintenant il y a une espèce de conscience, il y a aussi beaucoup de lobbying qui fait qu’il y a de la désinformation. On trouve dans beaucoup d’articles on dit que les essences émettent des NOx et des particules fines, mais un moteur essence émet quatre à six fois moins de NOx qu’un moteur diesel et surtout même si les essences récentes émettent des particules fines, la composition de ces particules fines n’est pas la même qu’une particule diesel et ça c’est important que les gens le comprennent. Une particule diesel reste plus toxique en termes de composition qu’une particule essence.

– Reportage intermédiaire –

J : Thomas Bourdrel, les choses avancent, il y a des maires, alors ça se passe à Paris, ça s’est passé à Strasbourg.
Il y a comme une prise de conscience sur le fait que le diesel, surtout les vieux diesels, doivent être banni au plus vite.
Et même le gouvernement qui annonce, en 2040 la fin des moteurs thermiques en France.

M : Oui, ça avance, mais il faudrait qu’il y ait une gradation, là pour l’instant, on met sur le même pied diesel et essence et ce n’est pas le même degré d’urgence.
En cinq ans on pourrait sortir déjà les vieux diesels ceux qui sont à l’origine vraiment de l’essentiel de la pollution de l’air, ça a été fait au Japon, dans certaines grandes villes, à Tokyo.

J : Avec une politique de quoi ? D’aides pour acheter de l’électrique par exemple ?

M : Par contre les subventions étaient bien supérieures. Les subventions actuellement sont insuffisantes.

J : Les caisses de l’état sont vide docteur.

M : Oui, mais en tout cas à Tokyo, ils ont réussi.
A Tokyo ils ont réussi à passer de quelques années à moins de 0,3% du parc diesel.
Les résultats sont hallucinants, c’est sorti dans la revue Epidemiology.
En 10 ans, le taux de particules fines à Tokyo a baissé de 44%.
La mortalité respiratoire a diminué de 22%.
Et la mortalité par maladies cardiaques de 12%.
Aucun traitement actuellement ne serait capable de faire baisser la mortalité cardio-respiratoire en dix ans, on a rien qui pourrait faire ça !

J : Vous pensez qu’un jour des patients vont se retourner contre l’état pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics dans la réaction face à ces dangers ?

M : C’est le cas. Il y a une action en cours. Mais je pense qu’il va falloir plusieurs actions.
Ce qui fait bouger les choses le plus rapidement, c’est ce qui se passe dans certaines villes, notamment en Allemagne où des gens portent plainte contre la ville.

J : Vous pensez que les villes vont aller plus vite que les États ?

M : Oui, surtout moi ce qui me sidère et ce dont personne ne parle c’est que dans une même ville vous avez des inégalités, en fonction de votre lieu d’habitation. Si vous habitez près d’un gros axe, du périphérique, vous pouvez respirer à Paris un air trois fois plus pollué que quelqu’un qui habite à côté du jardin du Luxembourg, et ça, c’est inacceptable.

J : Merci beaucoup, Thomas Bourdrel d’avoir été avec nous.
Merci de nous avoir suivis dans ce numéro d’état de santé, à très bientôt, au revoir.

– FIN –